Le droit de préemption confère aux collectivités locales un pouvoir d’acquisition prioritaire sur certains biens immobiliers mis en vente. Cet instrument juridique leur permet d’intervenir directement sur le marché foncier pour mener à bien leurs projets d’aménagement et de développement. Véritable levier d’action publique, le droit de préemption soulève néanmoins des questions quant à son articulation avec le droit de propriété et les intérêts privés. Son exercice, encadré par des procédures strictes, requiert une utilisation mesurée et justifiée par l’intérêt général.
Fondements et objectifs du droit de préemption
Le droit de préemption trouve son origine dans la volonté des pouvoirs publics de maîtriser le développement urbain et de lutter contre la spéculation foncière. Instauré par la loi du 26 juillet 1962 relative au droit de préemption dans les zones à urbaniser en priorité, il s’est progressivement étendu à d’autres domaines.
Les objectifs poursuivis par ce dispositif sont multiples :
- Permettre la réalisation d’opérations d’aménagement d’intérêt général
- Constituer des réserves foncières pour des projets futurs
- Préserver des espaces naturels ou agricoles
- Favoriser le renouvellement urbain et la mixité sociale
Le Code de l’urbanisme définit plusieurs types de droits de préemption à disposition des collectivités locales :
Le droit de préemption urbain (DPU)
Institué par délibération de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent, le DPU s’applique dans les zones urbaines ou à urbaniser délimitées par le plan local d’urbanisme. Il permet d’acquérir en priorité des biens mis en vente dans ces périmètres.
Le droit de préemption dans les zones d’aménagement différé (ZAD)
Créé par arrêté préfectoral, ce droit s’exerce sur des secteurs où la collectivité envisage la réalisation d’opérations d’aménagement à moyen ou long terme. Il vise à éviter une hausse excessive des prix fonciers liée à l’annonce de futurs projets.
Les droits de préemption spécifiques
D’autres droits de préemption existent pour des objectifs particuliers, comme la préservation des espaces naturels sensibles par les départements ou la protection des fonds de commerce dans les centres-villes.
L’exercice du droit de préemption doit être motivé par un projet d’intérêt général clairement identifié. Les collectivités ne peuvent y recourir de manière systématique ou spéculative. Le juge administratif exerce un contrôle strict sur les motivations invoquées pour justifier la préemption.
Procédure et mise en œuvre du droit de préemption
L’exercice du droit de préemption obéit à une procédure précise, encadrée par le Code de l’urbanisme. Cette procédure vise à garantir la transparence des opérations et à protéger les droits des propriétaires.
Déclaration d’intention d’aliéner (DIA)
Toute vente d’un bien soumis au droit de préemption doit faire l’objet d’une déclaration préalable, appelée déclaration d’intention d’aliéner (DIA). Cette formalité incombe au propriétaire ou à son notaire. La DIA doit contenir des informations précises sur le bien (description, prix, conditions de vente) et être adressée à la collectivité titulaire du droit de préemption.
Délai de réponse
À compter de la réception de la DIA, la collectivité dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer. Trois options s’offrent alors à elle :
- Renoncer à préempter : la vente peut se réaliser librement
- Exercer son droit de préemption aux conditions fixées dans la DIA
- Faire une contre-proposition à un prix inférieur
En cas de silence de la collectivité à l’issue du délai de deux mois, le droit de préemption est considéré comme abandonné pour la transaction en cause.
Fixation du prix
Si la collectivité décide de préempter, elle peut soit accepter le prix proposé dans la DIA, soit faire une offre à un prix inférieur. Dans ce dernier cas, le propriétaire dispose d’un délai de deux mois pour :
- Accepter le prix proposé par la collectivité
- Maintenir son prix initial
- Renoncer à la vente
En cas de désaccord persistant sur le prix, la collectivité peut saisir le juge de l’expropriation pour qu’il fixe la valeur du bien. Le propriétaire conserve alors la possibilité de renoncer à la vente jusqu’à l’acceptation expresse du prix fixé judiciairement.
Acte de transfert de propriété
Une fois le prix accepté ou fixé par le juge, la vente est conclue par acte authentique. La collectivité doit régler le prix dans un délai de quatre mois à compter de la décision définitive, sous peine de nullité de la préemption.
Tout au long de la procédure, la collectivité doit veiller au respect des délais et des formalités prescrites. Le non-respect de ces règles peut entraîner la nullité de la préemption et engager la responsabilité de la collectivité.
Enjeux et limites du droit de préemption
Le droit de préemption constitue un outil puissant d’intervention foncière pour les collectivités locales. Toutefois, son utilisation soulève des questions quant à son impact sur le marché immobilier et les droits des propriétaires.
Avantages pour les collectivités
Le droit de préemption offre plusieurs avantages aux collectivités :
- Maîtrise du foncier pour la réalisation de projets d’aménagement
- Régulation des prix du marché immobilier
- Anticipation des besoins futurs en constituant des réserves foncières
- Préservation du patrimoine naturel et culturel
Il permet aux élus locaux de mettre en œuvre une véritable stratégie foncière au service de leurs politiques d’aménagement et de développement.
Contraintes pour les propriétaires
Du point de vue des propriétaires, le droit de préemption peut être perçu comme une atteinte au droit de disposer librement de leur bien. Les principales contraintes sont :
- L’obligation de déclarer toute intention de vente
- L’incertitude sur la réalisation de la transaction
- Le risque de voir le prix de vente revu à la baisse
- L’allongement des délais de vente
Ces contraintes peuvent parfois dissuader certains propriétaires de mettre leur bien en vente, ce qui peut avoir un effet négatif sur la fluidité du marché immobilier.
Risques de contentieux
L’exercice du droit de préemption est souvent source de contentieux. Les principaux motifs de recours sont :
- L’insuffisance ou l’inadéquation de la motivation de la décision de préemption
- Le non-respect des procédures et des délais
- La contestation du prix proposé par la collectivité
- L’absence de réalisation du projet ayant justifié la préemption
Le juge administratif exerce un contrôle approfondi sur les décisions de préemption, veillant à ce qu’elles soient justifiées par un intérêt général suffisant et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Nécessité d’un usage mesuré
Face à ces enjeux, les collectivités doivent faire un usage mesuré et réfléchi du droit de préemption. Cela implique :
- Une définition claire des objectifs poursuivis
- Une motivation rigoureuse des décisions de préemption
- Une anticipation des besoins fonciers à moyen et long terme
- Une transparence dans la gestion des biens préemptés
Un recours excessif ou injustifié au droit de préemption risquerait de susciter la méfiance des acteurs du marché immobilier et de fragiliser la légitimité de cet outil d’action publique.
Évolutions récentes et perspectives
Le droit de préemption a connu plusieurs évolutions ces dernières années, visant à renforcer son efficacité tout en encadrant davantage son utilisation.
Renforcement des obligations de motivation
La loi ALUR du 24 mars 2014 a renforcé les obligations de motivation des décisions de préemption. Les collectivités doivent désormais préciser la nature du projet justifiant la préemption et mentionner la réalité des besoins, l’intention réelle d’utiliser le bien et la compatibilité du projet avec les documents d’urbanisme en vigueur.
Élargissement du champ d’application
Le champ d’application du droit de préemption s’est progressivement élargi. Par exemple, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a créé un droit de préemption spécifique pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine.
Développement de la dématérialisation
La dématérialisation des procédures liées au droit de préemption se développe. Depuis le 1er janvier 2022, les déclarations d’intention d’aliéner (DIA) peuvent être transmises par voie électronique aux collectivités, ce qui permet de fluidifier et de sécuriser les échanges.
Perspectives d’évolution
Plusieurs pistes d’évolution sont envisagées pour améliorer l’efficacité du droit de préemption :
- Renforcement de la transparence sur l’utilisation des biens préemptés
- Amélioration de l’articulation entre les différents droits de préemption
- Développement de mécanismes de préemption partielle pour faciliter les opérations d’aménagement
- Réflexion sur l’extension du droit de préemption à de nouveaux domaines (transition écologique, revitalisation des centres-villes)
Ces évolutions devront trouver un équilibre entre l’efficacité de l’action publique et le respect des droits des propriétaires.
Un outil à manier avec précaution
Le droit de préemption des collectivités locales constitue un instrument juridique puissant au service de l’aménagement du territoire et de l’intérêt général. Il permet aux élus locaux d’intervenir directement sur le marché foncier pour mettre en œuvre leurs projets de développement et préserver certains espaces stratégiques.
Toutefois, l’exercice de ce droit doit s’inscrire dans le respect de l’équilibre entre action publique et droits des propriétaires. Les collectivités doivent veiller à utiliser cet outil de manière mesurée et justifiée, en s’appuyant sur une stratégie foncière clairement définie.
Le cadre juridique du droit de préemption continue d’évoluer pour s’adapter aux nouveaux enjeux territoriaux, notamment en matière de transition écologique et de revitalisation des centres-villes. Ces évolutions devront préserver l’efficacité de cet instrument tout en garantissant la sécurité juridique des opérations et la protection des droits individuels.
En définitive, le droit de préemption reste un levier d’action essentiel pour les collectivités locales, mais son utilisation requiert une expertise juridique et une vision stratégique à long terme. La formation des élus et des agents territoriaux à la maîtrise de cet outil complexe apparaît comme un enjeu majeur pour en optimiser l’usage au service du développement local.

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